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Ouvrir un café – les débuts

J’ai ouvert un café. J’ai encore de la peine à y croire. On fait comment, partant de rien? Des institutions comme GastroSuisse proposent, par canton, des cours pour savoir comment ouvrir un café. Ils sont primordiaux voire obligatoires, si l’on n’a pas d’expérience ou que l’on ne peut pas compter sur l’expérience d’un·e membre de son équipe (pour autant que l’on ne soit pas seul·e). Ici, j’aimerais montrer une facette un peu différente de l’ouverture d’un café. Une histoire sensible, car personnelle, partagée. Et une histoire très factuelle, car composée de nombreuses étapes. Un récit très subjectif, issu d’une première expérience, qui ne doit pas être pensé comme un modèle, car de nombreuses choses n’ont pas été faites correctement – ou auraient pu être planifiées autrement (mieux). Ce récit se veut inspirant, ouvert, honnête, émotionnel. Il veut montrer une autre façon de voir, et de faire les choses.

16 mois avant l’ouverture du café, les premières idées qui trottaient depuis bien longtemps dans la tête émergent à la surface et prennent placent: nous avons dans le viseur un espace qui a vécu (mais qui ne vit plus) qui pourrait être transformé en café. Cette étape est la première, pour nous. Pour beaucoup, elle vient dans un second temps, voire uniquement lorsque le business plan est terminé. Nous avions de la chance: ce local se situe à quelques pas de chez nous et il est proche d’être libre. En fait, il s’agit d’une entreprise sanitaire qui l’occupe et qui l’utilise comme fourre-tout. Un rez-de-chaussée de 90m2 donnant sur une cour intérieur avec jardin et, de l’autre côté, sur une rue principale, de passage. Le rez-de-chaussée d’une maison datant de 1890, qui a accueilli un petit commerce de détail à ses débuts, puis un atelier de constructions métalliques, finalement une entreprise sanitaire.

Nous? Sascha et moi. Sascha a de l’expérience dans la gastronomie, il est muni d’une patente et sait cuisiner comme un chef! Moi – vous me connaissez (et si c’est pas le cas, vous pouvez découvrir ce que je fais dans la vie ici).

Ce rez-de-chaussée était rempli de déchets, de tuyaux, de bois, de métal, d’échelles et de matériel sanitaire. Nous avons approché le chef de l’entreprise, Ruedi, que nous connaissons, pour lui parler de nos idées. Moyennement motivé, il nous a laissé entendre que si nous l’aidions un peu, peut-être que l’on pourrait faire quelque chose. De plus, il fallait l’accord de la propriétaire de la maison. La maison allait être rénovée d’ici quelques années.

Nous avons donc approché la propriétaire et son mari. Ils ont trouvé notre idée sympathique. Nous avons formé alors de suite une petite équipe. J’en ai parlé à Rafaela que je connais via le mouvement Slow Food, qui a décidé en août de nous se lancer avec nous dans cette aventure. Nous avons rencontré Andrea, architecte, qui a rapidement été motivée à nous rejoindre pour rénover cet espace vétuste, en prenant en compte les éléments clés patrimoniaux, tout en créant un endroit agréable, accueillant, propre.

Nous avons voulu créer une Sàrl. L’associatif m’a traversé l’esprit, mais nous souhaitions une structure claire et aussi simple que possible. Nous étions prêts à investir 10’000.- par personne, pour couvrir les frais des travaux et créer l’entreprise, afin de pouvoir engager des hôtes / du personnel travaillant sur place. Nous avons toujours voulu garder nos occupations professionnelles. Nous planifions donc des travaux à max. 40’000.- (ce qui n’était pas totalement idéal, car les 20’000.- de capital devraient être réservés, au capital justement) – la suite nous dira comment les choses se sont passées.

En juillet 2019, sur le chemin pour la Slovénie, nous mettons les premières idées sur papier. Heures d’ouverture, offre, nourriture, boissons, etc. Concept. Tout est encore très vague.

En août 2019, je présente le projet à un concours du quartier, lors duquel nous aurions pu gagner jusqu’à 10’000.-. Nous ne sommes pas choisis, tant pis. Nous rencontrons Andrea régulièrement pour préparer la mise à l’enquête. Nous faisons un business plan très vague, sur la base de nos idées, assez ouvert, nous laissant la liberté de choisir par la suite ce que nous voulons vraiment faire. Sascha a déjà ouvert un café-bar, nous profitons beaucoup de son expérience et n’investissons pas beaucoup de temps pour un business plan bien travaillé. Pour la mise à l’enquête, nous devons donner une liste des boissons proposées, leur prix, le volume d’alcool, etc. Nous copions et collons une liste de boissons d’un café de la ville que nous connaissons bien, nous donnons des heures d’ouverture plus larges que celles souhaitées, nous laissant plus de flexibilité par la suite, nous donnons le maximum de tables sur les terrasses et à l’intérieur, dans la même optique: préparer au mieux le terrain, pour être le plus flexible ensuite. Un pari risqué, la mise à l’enquête peut susciter des oppositions.

En septembre 2019, nous écrivons à tous les propriétaires de maisons aux alentours pour les informer de notre projet. Nous aimerions avoir le plus de chance de notre côté, pour éviter les oppositions.

En octobre 2019, nous invitons les propriétaires et tout le quartier à venir voir les lieux (encore très encombrés), présentons le projet et l’équipe, répondons aux questions, et surtout, posons les questions qui nous intéressent. De quoi le quartier a-t-il besoin? Qu’est-ce qu’il manque? Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire? Quels sont les différents besoins et différents publics? La préparation et le déroulement de cette soirée ont été d’une grande aide. Nous avons pu voir et revoir des gens du quartier, discuter et ressentir les besoins de la population. Tout le monde était très ouvert et intéressé. C’était notre première étape: si la soirée n’avait pas été concluante, nous aurions arrêté le projet, c’était clair pour nous. Nous voulions faire quelque chose avec et pour le quartier.

Le 21 novembre 2019, nous déposons la mise à l’enquête. Nous espérions rapidement paraître dans le journal d’annonces locales, afin de savoir si des oppositions ont lieu. Les Bernois sont connus pour leur lenteur, ils nous l’ont prouvé lors de ce processus. Début janvier seulement, la mise à l’enquête est publiée dans le journal local. Un mois plus tard, nous apprenons le résultat: aucune (aucune!!!) opposition. Nous sommes aux anges. Et voici la deuxième étape de passée. A nouveau, nous étions prêts à stopper le tout en cas de grosses oppositions. Après coup, je peux l’affirmer: cela vaut la peine d’inclure le quartier dans ses choix – la clientèle est déjà toute faite, les gens se sentent concernés et veulent soutenir un commerce local.

En décembre 2019, nous cherchons un nom pour cet ancien atelier de métal, cette ancienne Werkstatt. Ce sera une WerkStadt. La WerkStadt Lorraine. Nous dessinons et discutons de nombreux logos, Anne-Laure qui s’occupe du logo et du site web est patiente et nous soumet de nombreux logos et fait de nombreuses modifications.

Nous rencontrons l’assistante sociale du quartier ainsi que la présidente de l’association du quartier pour discuter plus précisément de notre offre et des collaborations qui pourraient émerger, notamment dans l’intégration professionnelle d’immigrés ou de réfugiés.

On range et nettoie l’espace de 90m2 pendant plusieurs jours, on réfléchit à l’aménagement et à l’emplacement du magasin, du bar, des tables. On changera nos idées plusieurs fois jusqu’aux travaux. Andrea commence à prendre contact avec différentes entreprises et nous faisons venir des offres. Au total, pour faire ce que l’on veut, on doit débourser un quart de million. Nous avons 40’000.- à disposition. Il va falloir faire autrement.

Début février 2020, nous continuons à planifier les travaux. Nous rencontrons Sile et Chrigu de woopdesign qui sont motivés à nous rejoindre. Ils sont responsables de la partie « construction » de la WerkStadt Lorraine, avec Andrea. Ils ont des idées brillantes.

Une aventure n’en est pas une sans surprise. Nous apprenons que nous avons de l’amiante au plafond. Ceci risque de repousser le début des travaux et d’augmenter leurs coûts. De plus, nous devons être en étroits contacts avec le département du patrimoine et des monuments historiques: notre maison est classée au patrimoine (nous le savions!) et nous devons et voulons respecter certaines règles de restauration / construction.

Nous repoussons pour la Xème fois notre analyse SWOT (qui aurait déjà dû est faite depuis longtemps!). Nous repoussons notre comparaison des prix avec les autres cafés et restaurants du quartier. Nous ferons ceci à la dernière minute, lors de l’élaboration du menu. Nous sommes confiants, notamment car nous payons un loyer très bas comparé au marché.

Le logo est définitif, les couleurs pas encore. La typographie est choisie. Nous avons un site web. Nous sommes sur les réseaux sociaux. Nous commençons à communiquer. Nous aurons besoin d’aide pour construire ce petit bijou.

Nous répartissons entre nous les différentes tâches et travaillons de manière autonome dans les domaines qui nous sont chers. Nous nous rencontrons une fois par semaine pour une séance. Au début avec du vin. Par la suite sans.

La question principale: que pouvons-nous et voulons-nous faire avec 40’000.- de budget? Ceci induisait, comme l’avait calculé Andrea, 80 heures de travail pour chacun des membres pour des travaux « bruts », évitant de devoir payer des artisan·e·s. Utopique.

Début mars 2020, nous débutons les travaux. Début juin, nous ouvrons la WerkStadt Lorraine.

3 mois.

3000 heures de travail de l’équipe de base.

91 bénévoles.

2500 heures de travail des bénévoles.

45’000.- de dépenses pour les travaux.

Et le 16 mars 2020, il arriva ce que personne n’avait pu prévoir: le coronavirus.

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