J’ai ouvert un café. On fait comment, partant de rien? Ici, il est possible de retrouver les débuts de l’aventure: la planification, les idées et le réseautage.
Des institutions comme GastroSuisse proposent, par canton, des cours pour savoir comment ouvrir un café. Ils sont primordiaux voire obligatoires, si l’on n’a pas d’expérience ou que l’on ne peut pas compter sur l’expérience d’un·e membre de son équipe (pour autant que l’on ne soit pas seul·e). Ici, j’aimerais montrer une facette un peu différente de l’ouverture d’un café. Une histoire sensible, car personnelle, partagée. Et une histoire très factuelle, car composée de nombreuses étapes. Un récit très subjectif, issu d’une première expérience, qui ne doit pas être pensé comme un modèle, car de nombreuses choses n’ont pas été faites correctement – ou auraient pu être planifiées autrement (mieux). Ce récit se veut inspirant, ouvert, honnête, émotionnel. Il veut montrer une autre façon de voir, et de faire les choses.
Le covid19 sévit et nous voulons ouvrir ce café. Pendant ce temps, de nombreux autres cafés ferment leurs portes, certains pour toujours. C’est une situation paradoxale, mais en même temps, nous ne pouvons pas repousser notre projet, car d’autres doivent fermer.
Nous voulons faire vivre ce lieu historique, cet ancien atelier de métal au parquet âgé de plus de 120 ans, aux murs défraîchis et aux fenêtres opaques.
Les travaux durant la phase du confinement se déroulent, mais non sans obstacles. C’est ainsi. Jour après jour, nous avisons et essayons de planifier une ouverture très incertaine.
En avril 2020, nous trouvons cinq hôtes qui feront vivre notre café dès l’ouverture. Nous avons engagé des hôtes (Gastgeberinnen/Gastgeber), car nous souhaitons qu’ils fassent plus que simplement servir. Nous voulons qu’ils fassen vivre le lieu, avec nous. Pensent et développent avec nous. Rafaela, Sascha et moi-même devions plutôt rester en coulisses – tel était le plan. Aujourd’hui, je constate que nous sommes finalement plus présents que prévu, c’est une obligation, mais aussi une volonté et un plaisir de notre part.
Sile, Chrigu et Andrea l’architecte sont responsables de la phase de construction, sont par la suite plus rarement sur place. Ils sont tout de même partie prenant de l’entreprise que nous créerons en mai la WerkStadt Lorraine GmbH.
Le mois d’avril est semé d’embuches et de pauses, la phase storming est vécue intensivement. Nous allons pouvoir réaliser le plus gros des travaux en mai. Tout le matériel est livré, les capacités sont plus grandes, le coronavirus n’est de loin pas terminé, mais un peu de lumière s’entrevoit au bout du tunnel. Nous allons pouvoir ouvrir.
Nous avions déjà prévu une offre Food&Beverage de base. Des boissons et de la nourriture. Nous avions déjà débuté des collaborations et des échanges avec différentes organisations, notamment pour les repas de midi axés social et local. A midi, à la WerkStadt Lorraine, on mange des repas du monde entier, avec des ingrédients locaux. L’intégration sociale joue un rôle très important, notamment en collaborant avec Gastwerk – chez qui des requérant·e·s d’asile peuvent faire leurs premières expériences sur le marché du travail en cuisinant et servant des plats de leur pays. Nous avons des repas afghans, syriens, érythréens les mardi et mercredi midis.
Nous débutons et reprenons contacts avec les producteurs et amies chez qui nous souhaitons acheter les produits en direct. Nous n’allons quasiment pas travailler avec des livreurs de produits de masse, le papier WC excepté par exemple. Nous n’avons pas de produits de grandes marques de multinationales. Nous faisons beaucoup de choses nous-mêmes, les granolas, les noix pour l’apéro, la moutarde, la salade. Nous achetons 95% de nos produits en direct.
Nous travaillons en direct avec les productrices et les producteurs. Dora est contactée par sms. Ilario par whatsapp. Luisella par mail. Stefan préfère le mail, tandis que deux femmes du quartiers nous amènent des gâteaux suite à un simple échange autour d’un café.
La majorité de nos produits sont biologiques, labelisés ou non.
Nos prix sont corrects, adaptés aux prix du quartier et au marché. Notre café est bio, acheté en direct trade directement chez une coopérative regroupant quelques dizaines de paysans au Pérou.
Nous avons goûté une vingtaine de chasselas pour trouver celui qui convient au lieu, à l’ambiance, à notre palais, à nos valeurs. Nous avons du vin naturel, du vin suisse et du vin de pays limitrophes. Nous avons une carte qui est petite et qui le restera.
Nous essayons de proposer des produits disponibles dans le café ainsi que dans notre magasin. Ainsi, il est possible d’acheter les produits dégustés sur le plateau apéro. De plus, cela nous permet d’intégrer et de rester flexible dans notre offre et de privilégier les synergies. Nous commandons plusieurs produits chez une même productrice par exemple, pour le café/bar comme pour le magasin.
Nous travaillons en étroite collaboration avec plusieurs entreprises basées à Berne, tout en privilégiant la mixité. Nous avons 4 distributeurs différents pour nos six vins. Nous sommes transparents et ne souhaitons pas travailler en exclusivité avec un seul distributeur.
Le mois d’avril sonne la fin du bar voisin au nôtre. Yvonne, qui y travaille depuis des dizaines d’années, et qui vit dans la même maison, doit fermer d’ici la fin du mois. C’était prévu pour l’été, les conditions l’obligent à fermer plus tôt. Nous l’aidons comme nous pouvons et la soutenons. Il s’avérera qu’autant pour elle que nous, l’ouverture de notre café tombe à pique: elle peut se débarrasser de toute sa vaisselle, nous n’avons rien besoin d’acheter. Nous avions prévu de cherche du matériel d’occasion, mais cet événement tragique sera plutôt bénéfique pour nous. Nous entretenons une relation de plus en plus proche avec Yvonne, nous sommes tristes de la voir partir.
Nous n’avions jamais eu peur de la concurrence dans la quartier, ni même avec le bar d’Yvonne. Notre offre est différente, bien que les valeurs soient semblables à plusieurs autres cafés-restaurants comme le Wartsaal ou le Du Nord. Nous pensons que l’ouverture d’un café supplémentaire dans le quartier rend ce dernier justement plus attractif. D’ailleurs, d’ici 2021, à la place du bar d’Yvonne, un restaurant ouvrira ses portes – mais c’est pas nous!
Les travaux en avril:
- Un podium avec un nouveau parquet, coupant l’espace, lui ajoutant une dimension nouvelle, mettant le parquet âgé de 120 ans en avant
- Le bar
- L’électricité
- L’eau et les conduites
- Nettoyages divers
Nous progressons rapidement en avril avec l’offre du café et du magasin. Nous avons des listes, avec les prix (d’achat, de vente), les contacts des productrices et producteurs, …. Mon réseau développé chez Slow Food a bien des avantages. Je connais beaucoup de monde et il est assez facile de trouver ce que nous souhaitons.